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La semaine du droit des sociétés

Affaires - Sociétés et groupements
18/01/2021
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit des sociétés, la semaine du 11 janvier 2021.
Assemblée générale – délibérations – annulation 
« Selon les arrêts attaqués (Dijon, 20 septembre 2018 et 16 octobre 2018), rendus en matière de référé, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions sont associées majoritaires de la société PMC développement, société par actions simplifiée. La société 2EC, dont M. X est le gérant, est également associée, et présidente de la société PMC développement. Les autres actions sont détenues par la société Bourgogne Franche Comté croissance.
La société PMC développement a fait l'acquisition, au moyen d'emprunts bancaires, de la société Menuiserie Pacotte et Mignotte, qui détient elle-même l'intégralité du capital de la société Menuiserie Pacotte et Mignotte bois - agencement.
La société PMC développement rencontrant des difficultés, des mandataires ad hoc ont été successivement désignés en 2013 et 2015 afin de négocier avec les banquiers une restructuration de ses dettes et, en dernier lieu, par une ordonnance du 2 juillet 2018, la société AJ Partenaires, en la personne de M. Y.
Le 13 juillet 2018, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions ont adressé à M. X, en sa qualité de dirigeant de la société 2EC, une convocation à une assemblée générale de la société PMC développement, fixée au 30 juillet 2018, ayant pour ordre du jour la révocation de la société 2EC de son mandat de président de cette société et son remplacement par M. Z.
Une ordonnance du 17 juillet 2018, rendue à la demande des sociétés 2EC, PMC développement, Menuiserie Pacotte et Mignotte et Menuiserie Pacotte et Mignotte bois-agencement, a désigné la société AJ Partenaires
en qualité d'administrateur provisoire des sociétés 2EC, PMC développement, Menuiserie Pacotte et Mignotte et Menuiserie Pacotte et Mignotte bois-agencement avec mission, pendant une durée de trois mois, de diriger les sociétés du groupe et, notamment, de reprendre la mission confiée précédemment au mandataire ad hoc ainsi que de conduire les négociations avec les banques.
Les 25 et 26 juillet 2018, la société 2EC, en présence de la société AJ Partenaires, a assigné en référé les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement, Sofimac régions et PMC développement aux fins d'obtenir le report, après le terme de la mission de l'administrateur provisoire, de l'assemblée générale convoquée pour le 30 juillet 2018.
Par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel a fait droit à ces demandes, après avoir constaté que le maintien de l'assemblée générale du 30 juillet 2018 et la désignation de M. Z en qualité de président de la société PMC développement seraient contraires à la mission de l'administrateur provisoire telle que prévue par l'ordonnance du
17 juillet 2018.
Parallèlement, le 16 août 2018, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions ont convoqué une assemblée générale des associés de la société PMC développement pour le 31 août 2018 avec pour ordre du jour la fixation de la rémunération de la société 2EC. Lors de cette assemblée, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions en ont modifié l'ordre du jour et mis au vote deux projets de résolution, portant, l'une, sur la révocation avec effet immédiat de la société 2EC de ses fonctions de présidente de la société et, l'autre, sur la nomination, elle aussi à effet immédiat, de M. Z comme président de la société. La société 2EC s'étant abstenue, la modification de l'ordre du jour a été approuvée et les deux résolutions adoptées à la majorité des voix.
Par le second arrêt attaqué, la cour d'appel a prononcé la nullité de ces résolutions.

Après avoir constaté que l'administrateur provisoire de la société PMC développement avait pour mission, notamment, de reprendre les négociations avec les banques pour restructurer sa dette, l'arrêt retient qu'il est établi que la confiance accordée par les banques à l'administrateur provisoire, qui est de nature à favoriser les négociations que celui-ci mène avec elles dans l'exercice de son mandat, est susceptible d'être affectée par une délibération dont l'urgence n'est nullement avérée. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur l'opportunitéde modifier la présidence de la société au regard de l'intérêt social, a pu
déduire que la seule tenue de cette assemblée générale pendant que la société AJ Partenaires accomplissait sa mission était, par elle-même, de nature à causer à la société PMC développement un dommage imminent, qu'il convenait de prévenir en ordonnant le report de l'assemblée générale.
Le moyen n'est donc pas fondé.

Vu l'article L. 235-1 du Code de commerce et l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile :
Il résulte de ces textes que l'annulation des délibérations de l'assemblée générale d'une société, qui n'est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés.
Pour annuler les résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 31 août 2018, l'arrêt retient que, s'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'annuler un acte dans la mesure où une telle annulation consiste à trancher le fond, il y a lieu de constater, en l'espèce, et sans qu'aucune appréciation soit portée sur le fond des décisions prises, que la décision de mettre à l'ordre du jour de l'assemblée générale du 31 août 2018 les projets de résolutions portant sur la révocation du président de la société et la nomination d'un autre président est à l'origine d'un trouble manifestement illicite consistant en la violation délibérée de l'ordonnance du 27 juillet 2018, et que la seule mesure permettant de faire cesser ce trouble est d'annuler les délibérations qui en ont découlé et au terme desquelles ces résolutions ont été adoptées.
En statuant ainsi, alors qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, fût-ce pour faire cesser un trouble manifestement illicite, d'annuler les délibérations de l'assemblée générale d'une société, la cour d'appel, qui pouvait en revanche en suspendre les effets, a violé les textes susvisés
».
Cass. com., 13 janv. 2021 n° 18-25.713 et n° 18-25.730, P *
 

Délibérations litigieuses – primes – rémunérations abusives
« Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 14 juin 2018), M. X, gérant majoritaire, et sa compagne, Mme Y, ont consenti le 21 juillet 2014 une promesse de cession de l'intégralité des parts de la société Mécanique de précision de Méreau (la société) à M. Z pour le prix de 8 000 euros, montant nominal du capital social.
La promesse de cession comportait notamment une condition portant sur l'acquisition, par la société, du fonds artisanal de mécanique de précision de M. X, que la société exploitait dans le cadre d'une location-gérance, pour le prix de 242 000 euros, montant ultérieurement ramené à 212 000 euros.
Le 29 octobre 2014, l'assemblée générale de la société a décidé d'octroyer à M. X, au titre de ses fonctions de dirigeant, une prime de 83 000 euros, puis, le 24 novembre, une autre prime au titre d'un rappel de salaire, d'un montant de 3 049,94 euros.
Par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, les parties ont réitéré la promesse de cession, en précisant dans l'acte qu'aux termes de l'assemblée générale du 29 octobre 2014, il avait été accordé à M. X une prime exceptionnelle de 83 000 euros.
Devenu dirigeant de la société, M. Z a refusé de verser les sommes allouées à M. X par les assemblées générales des 29 octobre et 24 novembre 2014, estimant que l'octroi de ces primes constituait un acte anormal de gestion, mettant en péril les intérêts de la société.
M. X a assigné la société en paiement d'une somme totale de 84 623,05 euros. M. Z est intervenu volontairement à l'instance et a demandé l'annulation des résolutions du 29 octobre 2014 et du 24 novembre 2014 comme procédant d'un abus de majorité.

Après avoir analysé les comptes de la société des exercices 2012 et 2013, l'arrêt retient que les délibérations litigieuses ont eu pour effet d'octroyer au dirigeant de la société, dans les quelques mois séparant l'engagement de cession des titres et sa réalisation, des primes exceptionnelles représentant treize fois le résultat annuel de la société, et en déduit, pour annuler ces décisions, que ces primes constituent des rémunérations abusives comme étant manifestement excessives et contraires à l'intérêt social. Il résulte de ces motifs que la cour d'appel n'a pas annulé les deux résolutions en se fondant sur l'existence d'un abus de majorité, et il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir caractérisé les conditions d'application d'un tel abus.
Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office
Vu les articles 1382, devenu 1240, du Code civil et L. 235-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises :
Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il résulte du second qu'une délibération de l'assemblée générale des associés d'une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu'en cas de violation des dispositions impératives du livre II dudit Code ou de violation des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l'intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d'un ou plusieurs autres associés.
Pour annuler les délibérations adoptées les 29 octobre et 24 novembre 2014, l'arrêt retient que les primes allouées à M. X constituent des rémunérations abusives comme étant manifestement excessives et contraires à l'intérêt social.
En statuant ainsi, sur le seul fondement de la contrariété des délibérations litigieuses à l'intérêt social, sans caractériser une violation aux dispositions légales s'imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats, ni relever l'existence d'une fraude ou d'un abus de droit commis par un ou plusieurs associés, la cour d'appel a violé les textes susvisés
 ».
Cass. com., 13 janv. 2021, n° 18-21.860, P *
 

Assemblée générale – convocation
« Selon les arrêts attaqués (Nouméa, 14 mai 2018, 27 septembre 2018 et 29 novembre 2018), rendus en matière de référé, les sociétés Ficbal, FP Invest, Etablissements L.X et F sont associés et cogérants de la société Compagnie financière calédonienne (la société Cofical), qui détient 55 % du capital de la société anonyme E.
Le 29 juin 2017, l'assemblée générale mixte de la société E a adopté des résolutions par lesquelles quitus a été donné aux administrateurs de leur gestion pour l'exercice 2016, le résultat de l'exercice 2016 a été affecté et M. X a été renouvelé dans ses fonctions d'administrateur pour une période de six exercices.
La société Cofical a assigné en référé la société E et M. X afin d'obtenir, sur le fondement de l'article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce, la désignation d'un mandataire ad hoc de la société E, chargé de convoquer l'assemblée générale des actionnaires de la société ayant pour ordre du jour la révocation de MM. X et Y de leurs mandats d'administrateurs et leur remplacement par les sociétés F et Cofical et de convoquer le conseil d'administration de cette société pour désigner son nouveau président et, le cas échéant, un directeur général.
Le mandataire ad hoc de la société E, désigné par une ordonnance du 4 décembre 2017, a convoqué l'assemblée générale de cette société, qui a révoqué M. X de ses fonctions de directeur général et nommé M. Z pour le remplacer.
Par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel a infirmé l'ordonnance du 4 décembre 2017 et rejeté les demandes de la société Cofical. Elle a également déclaré recevable l'intervention volontaire de l'association d'actionnaires minoritaires de la société E.
Par le second arrêt attaqué, elle a dit que, par l'effet du dispositif de l'arrêt infirmatif prononcé le 27 septembre 2018, M. X était remis en sa qualité d'administrateur et de président du conseil d'administration de la société E, et a ordonné en conséquence la suspension des effets des assemblées générales et conseils d'administration postérieurs à la nomination d'un administrateur en application de l'ordonnance du 4 octobre 2017. 

Vu l'article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce :
Selon ce texte, à défaut de convocation par le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, l'assemblée générale d'une société anonyme peut être convoquée par un mandataire ad hoc, désigné en justice, à la demande, soit de tout intéressé en cas d'urgence, soit d'un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins 5 % du capital social, soit d'une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120 du même Code.
Pour rejeter la demande de désignation d'un mandataire ad hoc de la société E avec mission restreinte de convoquer l'assemblée générale des actionnaires de la société ayant pour ordre du jour la révocation de MM. X et Y de leurs mandats d'administrateurs et leur remplacement par les sociétés F et Cofical et de convoquer le conseil d'administration de cette société à l'effet d'y voir désigner son nouveau président et, le cas échéant, un directeur général, l'arrêt retient que la désignation d'un mandataire par le juge des référés, qui est toujours subordonnée soit à l'imminence d'un dommage soit à la démonstration d'un trouble manifestement illicite, n'est prévue de manière supplétive que dans l'hypothèse d'un dysfonctionnement avéré au sein de la société.
En statuant ainsi, alors que la désignation d'un mandataire ad hoc en application sur l'article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce n'est subordonnée ni au fonctionnement anormal de la société, ni à la menace d'un péril imminent ou d'un trouble manifestement illicite, mais seulement à la démonstration de sa conformité à l'intérêt social, la cour d'appel a violé le texte susvisé. 

Vu l'article 625 du Code de procédure civile :
Selon ce texte, la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
Pour dire que M. X est remis en sa qualité d'administrateur et de président du conseil d'administration de la société E, ordonner en conséquence la suspension des effets de l'assemblée générale du 16 mars 2018 et du conseil d'administration du 16 mars 2018, des convocations du conseil d'administration des 27 avril, 21 mai et 26 juin 2018 et de l'assemblée générale du 26 juin 2018, et de ces conseils d'administration et assemblées générales des 27 avril, 21 mai et 26 juin 2018, et dire que ces suspensions prendront effet au jour de la signification de l'arrêt à la société E, à charge pour l'une ou l'autre des parties de saisir le juge du fond au maximum dans un délai de deux mois à compter de ladite signification aux fins qu'il soit statué, le cas échéant, sur la nullité encourue par chacun des actes accomplis sous l'influence ou par le fait des administrateurs et dirigeants désignés en conséquence des assemblées générales et conseils d'administration susvisés, l'arrêt se fonde sur le seul effet du dispositif de l'arrêt infirmatif rendu le 27 septembre 2018.
La cassation de ce dernier arrêt sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° M 18-24.853 entraîne l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt du 29 novembre 2018, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire 
».
Cass. com., 13 janv. 2021, n° 18-24.853 et n° 19-11.302, P *.


*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 18 février 2021
 
Source : Actualités du droit