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Taxe GAFA : la loi définitivement adoptée, sur fond de menace américaine

Affaires - Fiscalité des entreprises
Tech&droit - Données
11/07/2019
La loi portant création d’une taxe sur les services numériques (TSN) et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, dite loi GAFA, a été définitivement adoptée le 11 juillet 2019. Un texte qui n’est pas du goût des Américains qui y voient une attaque directe contre leurs champions du numérique.
Deux ans après avoir lancé les premières discussions à son sujet, et quatre mois après le dépôt de ce texte sur le bureau de l’Assemblée nationale, la loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés a été votée, le 11 juillet 2019. Bruno Le Maire a salué l’ « adoption définitive d’un texte important ». Les États-Unis ont, de leur côté, annoncé le lancement d'une enquête.
 
À nouveau modèle économique, nouvelle taxation
« Cette taxe repose sur un diagnostic, a indiqué Bruno Le Maire (Sénat, séance publique, 11 juill. 2019), celui du nouveau modèle économique auquel nous sommes confrontés au XXe siècle. Aujourd’hui la valeur est créée par les données, leur concentration et leur commercialisation. La donnée fait la valeur. Et pourtant la taxation de la donnée n’est pas la même que celle des autres biens notamment les services ou les biens manufacturiers. C’est à la fois totalement injuste et totalement inefficace ».
 
Pour le ministre de l’Économie, « la responsabilité des pouvoirs publics, c’est de tenir compte de cette nouvelle réalité économique, de ce nouveau modèle économique et d’arriver à avoir une taxation qui soit juste ». Pour démontrer cette injustice, Bruno Le Maire s’appuie sur le rapport de la Commission européenne qui a établi que cette taxation des données est de 14 points inférieure à celle des autres activités économiques. En moyenne, les entreprises du numérique sont, en effet, imposées à un taux effectif d’imposition de 9,5 % seulement, contre 23,2 % pour les modèles d'affaire traditionnels a ainsi rappelé la Commission européenne. « Nous ne faisons que rétablir la justice fiscale », a donc souligné Bruno Le Maire. Et « comment demain pourrons-nous financer nos biens publics, nos investissements environnementaux, nos écoles, nos hôpitaux, nos crèches, si nous continuons à taxer ce qui crée le moins de valeur et que nous ne taxons pas au même niveau ce qui crée le plus de valeur, c’est-à-dire l’activité numérique et les données ».
 
Quelques rappels
– taxe à 3 % sur le chiffre d’affaires ;
– entreprise  visées : celles dont le chiffre d’affaires numérique est supérieur à 750 millions d’euros au niveau international et à 25 millions d’euros de chiffre d’affaires numérique au niveau national ;
– taxe à durée déterminée, en vigueur tant que l’OCDE ne sera pas parvenue à un accord sur une taxation internationale du numérique.
 
Tensions avec les États-Unis
Un certain paradoxe. Alors que les États-Unis ont, ces derniers temps, manifesté leur intention de surveiller l’activité des GAFA de manière à s’assurer que leur activité ne soit pas de nature à porter atteinte à la souveraineté américaine (v. ainsi, à propos de Libra, la cryptodevise de Facebook, la demande de la Chambre des représentants américains d’un moratoire sur Libra : Chambre des représentants, 2 juill. 2019), ils sont par ailleurs particulièrement attentifs à ce que l’on ne s’attaque pas à leurs géants nationaux. Illustration avec la taxe GAFA qui vient d’être votée.
 
Le secrétaire d’État américain, Robert Lighthizer, a en effet écrit à Bruno la Maire pour lui signaler que l’administration américaine allait ouvrir une procédure au titre de la section 301 du Trade Act de 1974, en raison précisément de l’adoption de cette taxe sur les géants du numérique (USTR Announces Initiation of Section 301 Investigation into France’s Digital Services Tax, 10 juill. 2019).
 
De quoi s’agit-il ? L'article 301 et les dispositions connexes du Trade Act (codifié dans 19 U.S.C. §§ 2411-2417) donnent à l’United States Trade Representative (USTR) un large pouvoir d'enquête et de réponse aux pratiques commerciales jugées déloyales d'un pays étranger. L'USTR publiera un avis dans le Federal Register Notice qui fournira des renseignements sur la façon dont les membres du public peuvent faire connaître leur point de vue au moyen d'observations écrites et d'une audience publique.
 
« Je voudrais rappeler, a précisé Bruno Le Maire, que c’est la première fois dans l’histoire des relations entre les États-Unis et la France que l’administration américaine décide d’ouvrir une procédure au titre de la section 301 ». « Passons par des accords plutôt que par des menaces, cela me semble de meilleure politique pour traiter cette question fondamentale de la taxation des géants du numérique » a ajouté le ministre de l’Économie, insistant au passage sur le fait que « La France est un État souverain : elle décide souverainement de ces dispositions fiscales et elle continuera souverainement de décider de ces dispositions fiscales ». Une loi qui devrait donc inciter les États-Unis à accélérer encore plus les travaux sur la solution internationale de taxation des géants du numériques à l’échelle de l’OCDE.
 
Pour Albéric de Montgolfier, sénateur, rapporteur général de la commission des finances, « il ne faudrait pas (cependant) que les conséquences économiques que pourrait avoir cette décision excèdent les résultats de cette taxe dont le rendement demeure à ce jour incertain ».
 
Pour autant, les États-Unis indiquent vouloir poursuivre leurs efforts avec d'autres pays membres de l'OCDE en vue de parvenir à un accord multilatéral, avec pour objectif de relever les défis que pose au régime fiscal international une économie mondiale dans laquelle le numérique occupe une place grandissante (USTR Announces Initiation of Section 301 Investigation into France’s Digital Services Tax, 10 juill. 2019).
 
 
Source : Actualités du droit