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Le salarié d’une compagnie aérienne française était licencié au motif que plusieurs collaboratrices de l’entreprise dénonçaient avoir subi des faits de harcèlement, tant moral que sexuel de sa part. Ce dernier portait plainte et se constituait partie civile le 19 juin 2008, arguant d’une prétendue dénonciation calomnieuse de la part des salariés ayant révélé son comportement.
Une information était donc ouverte le 23 septembre 2009, mais cette dernière était étendue, aux termes d’un réquisitoire supplétif du Procureur de la République en date du 17 mai 2010, aux délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral commis par le salarié à l’origine de la procédure pénale.
Absence de base légale
En effet, il était ressorti de l’enquête que sept femmes ayant travaillé sous les ordres de Monsieur Z avaient déclaré avoir fait l’objet d’agissements de la part du prévenu dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. Trois autres employées, également anciennement subordonnées de Monsieur Z, avaient évoqué, pour leur part, des faits susceptibles d’être assimilés à des actes de harcèlement moral.
À l’issue de l’information, le Juge d’Instruction décidait, par une ordonnance du 13 mars 2012, de renvoyer Monsieur Z devant le Tribunal Correctionnel afin que ce dernier réponde des faits de harcèlement moral et sexuel ci-dessus évoqués.
Ce renvoi devait se dérouler dans un contexte particulier dans la mesure où, par décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le Conseil Constitutionnel avait prononcé l’abrogation de l’article 222-33 du Code Pénal, définissant et réprimant le harcèlement sexuel, infraction qui ne devait retrouver une base légale que suite à l’entrée en vigueur de la loi
n° 2012-954 du 6 août 2012.
C’est dans ces conditions que Monsieur Z soulevait, devant le Tribunal Correctionnel, une exception de nullité fondée sur l’absence de base légale de la poursuite du chef de harcèlement sexuel, nullité à laquelle faisaient droit les Juges du fond.
Ainsi, seuls les actes susceptibles d’être qualifiés de harcèlement moral étaient examinés par le Tribunal Correctionnel, qui prononçait la relaxe du prévenu. Tant les parties civiles, dont faisait partie l’employeur du salarié harceleur, que le Procureur de la République, relevaient appel de cette décision.
Image de l'employeur ternie
La Cour d’Appel de Fort-de-France, dans une décision du 26 mai 2016, condamnait Monsieur Z pour harcèlement moral, et prononçait à son égard une peine d’emprisonnement de 4 mois avec sursis, octroyant aux parties civiles diverses sommes au titre de l’indemnisation de leur préjudice. Monsieur Z formait un pourvoi à l’encontre de cette décision, en articulant quatre moyens dont le dernier a particulièrement retenu notre attention.
En effet, celui-ci concernait plus particulièrement la constitution de partie civile de l’employeur de Monsieur Z. Le salarié prétendait qu’il ne pouvait être tenu pour responsable à l’égard de son ancien employeur des conséquences pécuniaires de fautes commises dans l’exécution du contrat de travail qu’en cas de faute lourde, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
La Cour de Cassation rejette ce moyen, considérant que l’employeur avait pu subir un dommage directement causé par les agissements fautifs du salarié, ce dernier ayant manifestement outrepassé les pouvoirs hiérarchiques qui lui avaient été dévolus par son employeur. En effet, par son comportement, le salarié avait notamment terni l’image de la compagnie auprès de ses autres salariés.
Cette décision de la Cour de Cassation est intéressante à plus d’un titre. En effet, il convient tout d’abord de rappeler que, aux termes de l’article 2 du Code de Procédure Pénale, l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.
En l’espèce, il ne faisait que peu de doute que les victimes directes d’infractions telles que le harcèlement moral ou le harcèlement sexuel étaient les salariées ayant eu à subir les agissements de Monsieur Z.
L’on pouvait donc légitimement penser que la constitution de partie civile de l’employeur serait rejetée par les juridictions, ce d’autant que, dans une situation similaire, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation avait, le 7 novembre 2000 (Cass. Crim. 7 novembre 2000, n° 00-82.469), semblé exclure l’existence d’un préjudice direct subi par l’employeur.
Au vu de cette position, le Conseil de la compagnie aérienne devait mettre en avant un préjudice atteignant l’employeur et causé directement par l’infraction en cause.
Préjudice d’image
C’est donc le préjudice d’image qui a été choisi, surement dans la mesure où la jurisprudence avait, à plusieurs reprises, accepté l’indemnisation de ce type de préjudice au bénéfice de l’employeur (1).
Si, dans ces deux décisions, le préjudice d’image était lié au retentissement des agissements d’un salarié vis-à-vis de tiers à la société, clients ou usagers, la Cour ne s’était pas prononcée au regard d’un retentissement interne.
C’est ainsi que, dans l’arrêt commenté, la Cour de Cassation précise que le préjudice de la société était dû au fait que les agissements de Monsieur Z avaient pu ternir l’image de la compagnie auprès de ses autres salariés.
Au demeurant, une fois la question du préjudice réglée, il restait à déterminer si le salarié pouvait être reconnu responsable pécuniairement à l’égard de son employeur.
À ce titre, le salarié reprenait à son compte la position classique de la chambre sociale de la Cour de Cassation, décidant que l’employeur ne peut engager la responsabilité de son salarié que sur la base de la faute lourde (2).
Sur le terrain de la responsabilité pécuniaire du salarié, la chambre criminelle s’écarte sensiblement de la chambre sociale, en décidant que la démonstration d’une faute lourde, soit l’intention de nuire du salarié, n’était pas nécessaire.
Cette position vient d’ailleurs confirmer un précédent arrêt de la chambre criminelle en date du 27 février 2015 (3).
Ce faisant, la chambre criminelle facilite notablement l’indemnisation de l’employeur, qui peut se contenter de démontrer le dommage causé par le comportement du salarié.
Cette « ouverture » de la part de la chambre criminelle au profit de l’employeur doit être saluée dans la mesure où ce dernier subit, dans les dossiers de harcèlement, un réel préjudice d’image, tant interne qu’externe, et ce, quand bien même l’indemnisation accordée revêt un caractère symbolique.
Par Nazanine Farzam-Rochon, avocat associé et Ludovic Genty, avocat du cabinet Fromont Briens
Indemnisation du préjudice d’image de l’employeur par le salarié harceleur
Social - Fonction rh et grh, Contrat de travail et relations individuelles
22/12/2017
Nazanine Farzam-Rochon, avocat associé et Ludovic Genty, avocat du cabinet Fromont Briens analysent un arrêt récent de chambre criminelle de la cour de Cassation, portant sur le préjudice d’image subi par l'employeur dans un dossier de harcèlement.
Une information était donc ouverte le 23 septembre 2009, mais cette dernière était étendue, aux termes d’un réquisitoire supplétif du Procureur de la République en date du 17 mai 2010, aux délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral commis par le salarié à l’origine de la procédure pénale.
Absence de base légale
En effet, il était ressorti de l’enquête que sept femmes ayant travaillé sous les ordres de Monsieur Z avaient déclaré avoir fait l’objet d’agissements de la part du prévenu dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. Trois autres employées, également anciennement subordonnées de Monsieur Z, avaient évoqué, pour leur part, des faits susceptibles d’être assimilés à des actes de harcèlement moral.
À l’issue de l’information, le Juge d’Instruction décidait, par une ordonnance du 13 mars 2012, de renvoyer Monsieur Z devant le Tribunal Correctionnel afin que ce dernier réponde des faits de harcèlement moral et sexuel ci-dessus évoqués.
Ce renvoi devait se dérouler dans un contexte particulier dans la mesure où, par décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le Conseil Constitutionnel avait prononcé l’abrogation de l’article 222-33 du Code Pénal, définissant et réprimant le harcèlement sexuel, infraction qui ne devait retrouver une base légale que suite à l’entrée en vigueur de la loi
n° 2012-954 du 6 août 2012.
C’est dans ces conditions que Monsieur Z soulevait, devant le Tribunal Correctionnel, une exception de nullité fondée sur l’absence de base légale de la poursuite du chef de harcèlement sexuel, nullité à laquelle faisaient droit les Juges du fond.
Ainsi, seuls les actes susceptibles d’être qualifiés de harcèlement moral étaient examinés par le Tribunal Correctionnel, qui prononçait la relaxe du prévenu. Tant les parties civiles, dont faisait partie l’employeur du salarié harceleur, que le Procureur de la République, relevaient appel de cette décision.
Image de l'employeur ternie
La Cour d’Appel de Fort-de-France, dans une décision du 26 mai 2016, condamnait Monsieur Z pour harcèlement moral, et prononçait à son égard une peine d’emprisonnement de 4 mois avec sursis, octroyant aux parties civiles diverses sommes au titre de l’indemnisation de leur préjudice. Monsieur Z formait un pourvoi à l’encontre de cette décision, en articulant quatre moyens dont le dernier a particulièrement retenu notre attention.
En effet, celui-ci concernait plus particulièrement la constitution de partie civile de l’employeur de Monsieur Z. Le salarié prétendait qu’il ne pouvait être tenu pour responsable à l’égard de son ancien employeur des conséquences pécuniaires de fautes commises dans l’exécution du contrat de travail qu’en cas de faute lourde, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
La Cour de Cassation rejette ce moyen, considérant que l’employeur avait pu subir un dommage directement causé par les agissements fautifs du salarié, ce dernier ayant manifestement outrepassé les pouvoirs hiérarchiques qui lui avaient été dévolus par son employeur. En effet, par son comportement, le salarié avait notamment terni l’image de la compagnie auprès de ses autres salariés.
Cette décision de la Cour de Cassation est intéressante à plus d’un titre. En effet, il convient tout d’abord de rappeler que, aux termes de l’article 2 du Code de Procédure Pénale, l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.
En l’espèce, il ne faisait que peu de doute que les victimes directes d’infractions telles que le harcèlement moral ou le harcèlement sexuel étaient les salariées ayant eu à subir les agissements de Monsieur Z.
L’on pouvait donc légitimement penser que la constitution de partie civile de l’employeur serait rejetée par les juridictions, ce d’autant que, dans une situation similaire, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation avait, le 7 novembre 2000 (Cass. Crim. 7 novembre 2000, n° 00-82.469), semblé exclure l’existence d’un préjudice direct subi par l’employeur.
Au vu de cette position, le Conseil de la compagnie aérienne devait mettre en avant un préjudice atteignant l’employeur et causé directement par l’infraction en cause.
Préjudice d’image
C’est donc le préjudice d’image qui a été choisi, surement dans la mesure où la jurisprudence avait, à plusieurs reprises, accepté l’indemnisation de ce type de préjudice au bénéfice de l’employeur (1).
Si, dans ces deux décisions, le préjudice d’image était lié au retentissement des agissements d’un salarié vis-à-vis de tiers à la société, clients ou usagers, la Cour ne s’était pas prononcée au regard d’un retentissement interne.
C’est ainsi que, dans l’arrêt commenté, la Cour de Cassation précise que le préjudice de la société était dû au fait que les agissements de Monsieur Z avaient pu ternir l’image de la compagnie auprès de ses autres salariés.
Au demeurant, une fois la question du préjudice réglée, il restait à déterminer si le salarié pouvait être reconnu responsable pécuniairement à l’égard de son employeur.
À ce titre, le salarié reprenait à son compte la position classique de la chambre sociale de la Cour de Cassation, décidant que l’employeur ne peut engager la responsabilité de son salarié que sur la base de la faute lourde (2).
Sur le terrain de la responsabilité pécuniaire du salarié, la chambre criminelle s’écarte sensiblement de la chambre sociale, en décidant que la démonstration d’une faute lourde, soit l’intention de nuire du salarié, n’était pas nécessaire.
Cette position vient d’ailleurs confirmer un précédent arrêt de la chambre criminelle en date du 27 février 2015 (3).
Ce faisant, la chambre criminelle facilite notablement l’indemnisation de l’employeur, qui peut se contenter de démontrer le dommage causé par le comportement du salarié.
Cette « ouverture » de la part de la chambre criminelle au profit de l’employeur doit être saluée dans la mesure où ce dernier subit, dans les dossiers de harcèlement, un réel préjudice d’image, tant interne qu’externe, et ce, quand bien même l’indemnisation accordée revêt un caractère symbolique.
Par Nazanine Farzam-Rochon, avocat associé et Ludovic Genty, avocat du cabinet Fromont Briens
(1) Cass. Crim. 4 septembre 2013, n° 12-83.947 ; Cass. Crim. 20 avril 2017, n° 16-80.091
(2) Cass. Soc. 2 mars 2011, n° 09-71.000 ; Cass. Soc. 17 avril 2013 ; n° 11-27.550, Cass. Soc. 7 mai 2014, n° 13-16.421
(3) Cass. Crim. 27 février 2015, n° 13-87.602
Source : Actualités du droit