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Consécration et limites du principe de loyauté de la preuve : quelle réalité ? Le point de vue du magistrat

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
09/08/2019
La 5e rencontre de la cour d'appel de Paris et de la Faculté de droit de Sceaux a eu lieu le 20 juin 2019 à la cour d'appel de Paris autour du principe de loyauté de la preuve. 
Le caractère purement prétorien du principe de loyauté
Deux Codes régissent le droit de la preuve : le Code de procédure civile et le Code civil. Aucun n’évoque un tant soit peu un principe de loyauté.
  • Les principes directeurs dans le Code de procédure civile, consacrés à l’administration judiciaire de la preuve :
L’article 9 du CPC indique que “Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.” Le “conformément à la loi” inclurait la loyauté ? Pas vraiment puisque la loi ne la prévoit justement pas. L’article 6 de la CESDH ? Non plus, la cour de Strasbourg ayant justement indiqué que la notion de procès équitable n’incluait pas les règles probatoires.
 
Et c’est pourtant en vertu de ce principe que, comme on va le voir, la Cour de cassation a érigé en principe général du droit qui conduit notamment à ce que l’on refuse notamment la possibilité de produire des écoutes téléphoniques qui auraient été enregistrées clandestinement.
  • Les principes directeurs placés dans le Code civil, consacrés aux différents modes de preuve : 
Au sein du livre III (Des différentes manières dont on acquiert la propriété), on trouve un titre IV bis intitulé “de la preuve des obligations” ; au sein de ce titre, un chapitre consacré aux dispositions générales (art. 1353 à 1357), un autre à l’admissibilité des modes de preuve (art. 1358 à 1362).
          
Parmi tous ces textes qui ont été reformatés par l’ordonnance du 10 février 2016 sur la réforme du droit des obligations, on serait en peine de trouver un traître mot relatif à la loyauté ou à une exigence qui s’en approcherait.
 
Pourtant, à lire le rapport au président de la République fait à l’occasion de cette ordonnance, on apprend qu’on été codifiés des “principes essentiels du droit de la preuve”, comme l’interdiction de se constituer une preuve à soi-même. Mais sur la loyauté de la preuve, rien.
 
Le principe est posé par le nouvel article 1363 du Code civil qui énonce de manière lapidaire : Nul ne peut se constituer de titre à soi-même. Cet article procède de la réforme générale du droit des obligations issu de l’ordonnance du 10 février 2016. Jusqu’alors ce principe était rattaché à l’ancien article 1315 du Code civil qui énonçait que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
           
Ainsi, le principe de loyauté est aussi absolu que non fondé d’un point de vue textuel. On chercherait en vain un texte dont il résulterait que la preuve n’est recevable que pour autant qu’elle a été recueilli loyalement.
 
Par exemple : Civ. 2ème, 7 octobre 2004, Bull. n° 447, pourvoi n° 03-12.653, rendu au visa des articles 9 du CPC et 6 de la CESH, avec le sommaire suivant : «L’enregistrement d’une conversation téléphonique privée effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue.» Com. 3 juin 2008, Bull. n° 112, pourvoi n° 07-17.147, rendu avec le sommaire suivant : «L’enregistrement d’une communication téléphonique par une partie à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve.» Egalement Cass. Ass. Plén. , Bull. n° 1, pourvoi n° 09-14.316, rendu avec le sommaire suivant : «Il résulte des articles 9 du Code de procédure civile, 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, que l’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve. » Cet arrêt comporte dans son visa «vu le principe de loyauté dans l’administration de la preuve». Egalement, Civ. 2ème, 9 janv. 2014, n° 12-17.875. Plusieurs arrêts de la chambre sociale ont également été rendus en ce sens.
 
Au demeurant, cette apparition ex-nihilo du principe de loyauté n’aurait pu se faire sans la souplesse du droit français de la preuve, ce dont témoigne le protocole conclu au mois de février 2018 entre la cour d’appel de Paris et le barreau de Paris, sous l’égide du Garde des Sceaux, relatif à la procédure devant la toute nouvelle chambre internationale. Sans rien changer aux textes du Code de procédure civile, ce protocole aiguise les mécanismes existants afin de renforcer leur efficacité, notamment en encourageant la preuve testimoniale chère à la common law.
 
Ainsi, s’agissant de la comparution personnelle des parties, qui est prévue aux articles 184 à 198 du CPC : le protocole prévoit qu’après l’interrogatoire des parties par le juge, chaque partie peut ensuite être invitée à répondre aux questions que les autres parties souhaitent poser (art. 5.2.1 du protocole) et il en va de même pour l’audition des témoins (art. 5.4.4). Cette audition des témoins de la partie adverse, selon le mécanisme de la cross-examination américaine, introduit à droit constant un profond changement des pratiques dans l’administration de la preuve. De même s’agissant des pièces, le protocole permet la communication de pièces en langue anglaise et sans traduction en se fondant sur une interprétation stricte de l’ordonnance de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 dont l’application est cantonnée aux seuls actes de la procédure.
 
Sans modifier nos règles, ce protocole permet ainsi d’acclimater le droit français aux mœurs des avocats anglo-saxons, qui seront nombreux devant cette chambre de la cour d’appel, devant laquelle rappelons-le les avocats peuvent plaider en anglais et dont les arrêts seront traduits dans cette langue. En quoi l’on voit que de manière très contemporaine, le droit de la preuve procède aussi du droit souple.
 
Le principe de loyauté vient ainsi encadrer notre droit de la preuve, en renfort d'autres principes avec lesquels il fait parfois double-emploi, comme celui du respect de la vie privée. Tout récemment, la cour d'appel de Paris (Cour d'appel de Paris, Chambre 1-3, 7 mai 2019, RG n° 18/26775) a retenu que les prises de vues aériennes prises par drone d’une propriété privée sans l’accord des propriétaires constituent une atteinte à leur vie privée même si personne n'apparaît sur les clichés et que cette pièce doit être écartée dès lors qu'en l'espèce ces photographies n'étaient pas indispensables à l'exercice du droit de la preuve compte-tenu de ce que le juge avait déjà ordonné une mesure de consultation par huissier de justice. Cette exclusion, pour protéger la vie privée aurait tout aussi bien pu être fondée sur une violation du principe de loyauté, compte-tenu de ce que la photographie avait été prise sans l'accord du propriétaire.
 
Un principe qui s’insère mal dans notre droit :
De création récente, le principe de loyauté s’insère en réalité mal dans notre droit. Il s’y chausse aussi difficilement qu’un homme des bois dans l’escarpin de Cendrillon.
 
C’est une chose curieuse : autant le droit à la preuve permet de passer outre le droit au respect de la vie privée sous certaines conditions (à savoir, l’impossibilité d’obtenir autrement la preuve en question et que cette nécessité soit proportionnée aux intérêts antinomiques en présence), autant l’interdiction de la preuve déloyale procède d’un droit hors sol et pourtant absolu. En soi, on peut s’interroger sur ce tabou : est-il tellement plus grave, lorsqu’on n’a que cette possibilité pour établir une preuve, d’enregistrer une conversation téléphonique que de demander à un huissier de justice de détailler les faits et gestes d’une personne qu’il va suivre dans ses déplacements ?
 
Dans la déloyauté se trouve toujours l’idée que l’on a pris son adversaire par surprise, là où il ne s’y attendait pas. Est-ce bien si grave ? C’est pourtant l’essence même de la plupart des mesures d’instruction ordonnées sur requête. Lorsqu’un juge ordonne sur requête ce qu’on pourrait bien appeler une mesure de perquisition privée, cette mesure n’a d’intérêt que par ce qu’elle va venir surprendre l’adversaire qui n’aura pas le temps de dissimuler ce qu’il voulait maintenir au secret. Pourquoi l’enregistrement d’une conversation téléphonique est-il déloyal alors qu’une perquisition civile menée au petit matin par un huissier de justice ne l’est pas ? Simplement parce que le juge l’a ordonnée dans le second cas ? Une action ne devient pas morale par le seul fait qu’elle est autorisée par une autorité, fût-elle judiciaire.
 
Il me semble que la notion de loyauté est abusivement valorisée. Alors qu’il est une autre notion, dont ni la doctrine ni la jurisprudence ne parlent alors qu’elle être à mon avis cardinale en droit de la preuve pour le praticien que je suis des requêtes et référés probatoires : c’est l’obligation de sincérité. Lorsqu’un juge examine une requête en vue d’autoriser une partie à envoyer un huissier de justice chez son adversaire afin de ratisser tout un ensemble de données sur ordinateur comportant certains mots-clefs, il n’entend au moment ou il délivre le permis de mener cette perquisition privée qu’un seul son de cloche. Il a beau s’efforcer de lire la requête qui lui est soumise de la manière la plus critique et la plus soupçonneuse qui soit, il n’a pour connaissance de ce litige en germe que ce qu’a bien voulu lui en dire le requérant. Vient ensuite, une fois la perquisition privée effectuée, le moment du référé-rétractation. Le juge doit alors examiner deux choses : l’intérêt légitime de la mesure sollicitée et les circonstances qui justifiaient qu’il soit dérogé au principe de la contradiction. La Cour de cassation insiste sur le fait qu’on ne peut pas rétracter une ordonnance en reprochant le manquement à un principe de loyauté car ce serait ajouter aux conditions de l’article 145 :
  • Civ. 2 me, 20 mars 2014, Bull. n° 77, pourvoi n° 12-29.568, rendu avec le sommaire suivant : «Tenu d’apprécier les mérites d’une requête au regard des seules conditions de l’article 145 du Code de procédure civile, le juge qui, pour rétracter l’ordonnance sur requête, retient que le requérant a manqué à un devoir de loyauté dans l’exposé des faits ajoute une condition à la loi. Sa décision doit être censurée.» En l’espèce, le requérant avait caché au juge des requêtes l’existence d’un contentieux au fond portant sur des faits similaires ou connexes à ceux pour lesquels il sollicitait la mesure ;
  • le même jour, la même chambre retient que la loyauté du requérant dans l’exposé des faits est une notion laquelle le juge des requêtes ou de la rétractation peut considérer comme indifférente : Civ. 2ème, 20 mars 2014, n° 13-11.135, rendu avec le sommaire suivant : «Lorsqu’il est saisi d’une demande de rétractation de l’ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, le juge, tenu d’apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s’assurer seulement de l’existence d’un motif légitime d'ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement, sans avoir à rechercher si les requérants auraient manqué à un devoir de loyauté dans l’exposé des faits.»
Ainsi, alors même que le principe de loyauté dans la recherche de la preuve à l’égard de son adversaire en germe est un dogme, il est permis d’être déloyal à l’égard du juge en ne lui fournissant que des informations parcellaires et choisies.
 
De fait, ce n’est pas tant de loyauté dont on aurait besoin au stade que de sincérité. En soi, le juge saisi en référé-rétractation ne peut pas rétracter une ordonnance au motif que la requête qui lui a été présentée se serait avérée tronquée, tendancieuse, captieuse, parcellaire, biaisée. Il est pourtant regrettable que l’on ne puisse exiger de la partie qui demande le secours du juge pour obtenir des éléments de preuve qu’elle se présente à nu, reconnaissant ses insuffisances tout autant que celles de son adversaire. Je n’appelle pas là de mes vœux la discovery à l’anglo-saxonne, il n’y a pas forcément lieu de donner à son adversaire le bâton pour se faire battre. Simplement, il serait bon que l’on puisse lui retirer le bénéfice de la mesure probatoire dès lors qu’elle n’aurait pas compensé la dérogation au principe de la contradiction par une présentation objective du litige en germe.
 
Une limite récente à ce principe de loyauté : le secret des affaires
Les informations protégées au titre du secret des affaires (Directive du 8 juin 2016 relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites; loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires qui modifie tant le Code de commerce que le Code de la justice administrative ; décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires) sont définies dans le Code de commerce (art. L. 151-1).

Elles répondent à une définition large qui recouvre notamment les fichiers clients ou fournisseurs, les études de marketing ou de marché, les notes de stratégie, les plans de recrutements ou d’acquisitions, les accords commerciaux, les politiques de rémunération et de nombreuses autres informations non protégées par des droits de propriété intellectuelle.
 
Il a été fait le choix de transposer la directive protégeant ces secrets dans le Code de commerce ce dont il résulte une curiosité en matière de légistique : les dispositions d’applications, telles qu’elles résultent du décret du 11 décembre dernier sont transposées dans le Code de commerce alors même qu’elles auraient eu vocation, de par l’étendue de leur application, à figurer dans le Code de procédure civile. Ainsi, il existe désormais dans le Code de commerce un dispositif essentiel en matière de droit de la preuve que l’on n’a intuitivement pas le réflexe de chercher dans ce Code et qui est susceptible de rendre caduque une bonne part des solutions jurisprudentielles acquises jusqu’alors.
 
Ainsi, dans le cadre des ordonnances sur requête permettant de saisir des pièces chez son adversaire en germe, il était permis jusqu’à présent pour la partie chez laquelle avait été effectuée la saisie de former une demande de rétractation sans limite de temps. Ce n’est plus le cas désormais, le nouvel article R. 153-1 du Code de commerce dispose que « Lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires. / Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du Code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant. / Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10». Il fixe un délai d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance sur requête. Faute de référé-rétractation dans ce délai, les pièces saisies sont automatiquement dé-séquestrées au profit du requérant.
 
De même, jusqu’à présent, la Cour de cassation qui interdisait de mélanger référé-rétractation et dé-séquestration (Civ. 2ème, 27 septembre 2018, n° 17-20.127, rendue avec le sommaire suivant : «L’instance en rétractation, prévue par l’article 497 du Code de procédure civile, a pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, de sorte que la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. En conséquence est irrecevable devant le juge de la rétractation une demande tendant à voir ordonner, en cas de rejet de la demande de rétractation, la mainlevée d’une mesure de séquestre») : on ne pouvait pas à l’occasion d’une demande de dé-séquestration de pièces former reconventionnellement une demande de rétractation de l’ordonnance sur requête et réciproquement. C’est désormais chose possible, par ce même article R. 153-1 qui permet de mélanger les deux dans la même instance.
 
De même, à rebours de tout ce qui était admis jusqu’à présent, le juge peut décider de prendre seul connaissance d’une pièce saisi par le biais d’une requête (art. L. 153-1), ne rendre la pièce que partiellement accessible (ou seulement un résumé de cette pièce) ou à certaines personnes seulement de l’entreprise demanderesse en plus des avocats, tous demeurant tenus d’une obligation de confidentialité même une fois la procédure finie (art. L. 153-2), adapter sa motivation pour ne pas divulguer le secret des affaires dans sa décision (art. L. 153-1).
 
Apportant des dérogations à de nombreux principes (celui de la contradiction, de la publicité de l’audience, de la motivation, de l’exécution provisoire des décisions du juge des référés), limitant au sein d’une entreprise l’accès des personnes admises aux débats, organisant le caviardage des pièces communiquées, ce décret opère plusieurs révolutions dans le droit de la preuve et bouleverse bon nombre de solutions patiemment tressées par la jurisprudence au vu du seul article 145 du CPC. Son positionnement au sein du Code de commerce est à l’origine de la grande discrétion qui a accompagné sa parution, discrétion d’autant plus injustifiée qu’il aura vocation à s’appliquer dans bon nombre des contentieux probatoires entre entreprises.
 
L'article R, 153-8 du Code de commerce exclut l’exécution provisoire des décisions du juge des référés statuant sur la demande de communication de pièces. En effet, la décision statuant sur la communication ou la production d’une pièce est toujours susceptible d’appel quelle qu’en soit la teneur, étant précisé que lorsque la communication ou la production d’une pièce est ordonnée, « le délai d’appel et l’appel exercé dans ce délai » sont suspensifs (C. com., art. R. 153-8). Il s’agit donc d’une dérogation importante à l’exécution provisoire de droit attachée à une ordonnance de référé.) 

La singulière cohabitation du principe de loyauté de la preuve avec celui, émergent d’un droit à la preuve :
Le droit à la preuve est apparu à l’initiative de la Cour de Strasbourg en 2006 (CEDH 10 octobre 2006 LL/ France, n° 7508/02) et a été expressément consacré par la Cour de cassation à partir de 2012 (Civ. 1ère, 5 avril 2012, Bull. n° 85, pourvoi n° 11-04.177). De par l’assise textuelle qui lui a été trouvée, l’article 6 de la CESDH, ce droit a immédiatement été hissé au rang de droit fondamental, ce qui lui permet de mettre en échec des droits non moins importants, et notamment le droit au respect de la vie privée (protégé par l’art. 8 de la même convention).
 
Ainsi, contrairement à une preuve obtenue de manière déloyale, une preuve qui porte une atteinte à la vie privée peut être admise pour autant qu’elle répond à deux conditions :
  • que cette preuve soit la seule possible (ainsi, à quoi bon faire une filature pour démontrer que l’assuré prétendument paralytique est en réalité tout à fait ingambe lorsqu’une contre-expertise y suffirait ? Pourtant, la Cour de Cassation a décidé (Civ. 1ère, 31 octobre 2012, Bull. n° 224, pourvoi n° 11-17.476 : “Est légalement justifié l’arrêt qui, rendu en référé, déclare admissible la preuve tirée des constatations opérées par un huissier de justice ayant filmé une partie sur la voie publique ou en des lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s’y rendre, et relatives aux seules mobilité et autonomie de l’intéressé, dès lors qu’a été retenue la non disproportion de l’atteinte à la vie privée par rapport aux droits et intérêts en cause.” Arrêt rendu pour une personne qui sollicitait une indemnisation pour tierce personne permanente alors qu’un constat d’huissier de justice le montrait conduisant seul un véhicule, effectuant des achats, assistant à des jeux de boules, s’attablant au café pour lire le journal et converser avec des consommateurs, accompagnant des enfants à l’école sans aucune assistance, en complète contradiction avec les conclusions de l’expertise judiciaire) ;
  • que l’atteinte à la vie privée ne soit pas disproportionnée au regard de l’intérêt défendu, lequel sera d’autant plus important qu’il sera collectif (ainsi l’intérêt de la collectivité des assurés est plus important que celui du conjoint trompé pour apprécier ce critère). Par exemple, la Cour de Cassation (Civ. 2ème, 3 juin 2004, Bull. n° 273, pourvoi n° 02-19.886) a rendu avec le sommaire suivant : «Dès lors qu’il est établi qu’une personne a été épiée, surveillée et suivie pendant plusieurs mois, est disproportionnée, par rapport au but poursuivi, l’immixtion dans sa vie privée par un détective privé auquel avait été confiée la recherche d’éléments de train de vie susceptibles d’appuyer la demande en suppression de prestation compensatoire de son ex-époux».
Bien sûr, avec ce contrôle de proportionnalité, on entre dans les aléas d’appréciations éminemment casuistiques et il est d’autant plus singulier que la Cour de cassation opère elle-même ce contrôle, sans l’abandonner à l’appréciation souveraine des juges du fond, qu’elle veut par ailleurs réduire drastiquement le nombre de pourvois formés devant elle (rappelons que dans le nouveau mécanisme de filtrage proposé, le contrôle de la violation de la loi serait partiellement abandonné dans la proposition transmise par le Premier président de la Cour de cassation, l’admission du pourvoi se ferait selon des critères alternatifs fondés sur l’intérêt que présente une affaire pour le développement du droit, l’unification de la jurisprudence, ou bien encore la préservation d’un droit fondamental auquel il serait gravement porté atteinte).
 
Dans le prolongement de ce droit à la preuve, on peut également relever que le protocole signé entre le barreau de Paris et la Chambre internationale de la cour d’appel prévoit en son article 4.2 que le conseiller de la mise en état de doit motiver son refus de faire droit à une telle demande alors que la jurisprudence rattache le pouvoir d’accepter ou de refuser une telle requête à un pouvoir discrétionnaire . En quoi l’on voit une tendance très contemporaine à impliquer davantage le juge dans le droit de la preuve afin d’aider les parties à étayer leur dossier.
 
Civ. 1ère, 4 déc. 1973, n° 72-13.385 ; Civ. 2e, 16 oct. 2003, n° 01-13.770 : C’est dans l’exercice du pouvoir laissé par la loi à sa discrétion d’ordonner ou non la production d’un élément de preuve détenu par une partie qu’une cour d’appel, sans être tenue de s’expliquer sur une telle demande, n’y fait pas droit. Il est vrai que l’exige de motivation posée par le protocole est essentiellement pédagogique puisqu’elle ne fait pas pour autant naître un recours contre cette décision de refus Il a été jugé que la décision qui enjoint à une partie de produire divers documents prescrit une mesure. 
Source : Actualités du droit